Des députés veulent faire adopter une nouvelle loi imposant, par défaut, la garde alternée des enfants aux parents. Une telle loi, selon Danielle Moos, avocat spécialisée en droit de la famille, n’est pas souhaitable. En effet, le juge doit garder toute la latitude nécessaire pour apprécier, en son âme et conscience, et au cas par cas, la solution la plus conforme aux intérêts des enfants.
Depuis la loi du 4 mars 2002, la résidence alternée est un principe inscrit dans le Code civil. C’est donc un choix supplémentaire qui s’offre au juge lorsqu’il doit trancher le sort des enfants dans le cadre d’une séparation des parents. Après avoir honni des années durant ce mode de garde, dont on supposait qu’il déséquilibrait l’enfant, certains psychologues l’ont préconisé avec force. Ce qui a conduit en mars 2009 les députés Mallié et Decool à concevoir une proposition de loi visant à « affirmer avec force que la résidence en alternance égalitaire est préférable dès lors que l’un au moins des deux parents la demande sur la base de critères matériel, géographique et moral. » Une nouvelle mouture de cette proposition (n° 3835) a été déposée en octobre 2011, mais elle n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Tel le rocher de Sisyphe…
Que penser des incessantes variations du législateur qui croit remédier au mal-être des enfants par un empilement continu de lois ? Tel Sisyphe déplaçant son rocher, le législateur fait, défait et refait ce qu’a voté son prédécesseur, selon les convictions du moment.
Comment les juges aux affaires familiales pourraient-ils se satisfaire d’une loi qui se veut innovante, mais qui leur impose une solution ?
Aucune loi ne peut éviter la souffrance des enfants
Si l’on considère le point de vue de l’enfant, que souhaite-t-il au plus profond de lui ? Que ses parents, ses véritables génies tutélaires, restent ensemble et que lui-même, fruit de leur amour, soit le ciment indestructible d’un foyer uni. Et aucune loi ne pourra l’empêcher d’avoir ce sentiment.
On a bien souvent dit que les enfants étaient les oubliés du divorce. C’est vrai dans la mesure où leur intérêt propre est de moins en moins pris en compte, pour ce qu’il est, à savoir la grande proximité d’un enfant à son père et sa mère si l’on souhaite qu’il grandisse normalement.
Mesure-t-on ce que ressent un enfant lorsqu’il doit se partager entre deux résidences, deux milieux familiaux différents puisque, la plupart du temps, ses parents, désormais divorcés, ont refait leur vie et partagent l’existence d’un autre conjoint ? Et sa douleur lorsqu’il voit son père ou sa mère dans les bras d’un nouveau compagnon ou d’une nouvelle compagne ?
Ce ne sera jamais dans la loi qu’il faudra chercher les remèdes à cela.
La résidence alternée, une cote mal taillée.
La résidence alternée que certains voudraient voir généralisée n’est pas la panacée car tout dépend, en fait, de son adéquation avec le milieu et le caractère de l’enfant concerné.
Et elle ne mérite ni ce surcroît d’honneur ni cet excès d’indignité que les uns ou les autres lui confèrent. En fait, pour s’exprimer simplement, c’est une cote mal taillée, qui ne compensera jamais aux yeux de l’enfant la séparation irrémédiable de ses parents. Bien sur, la résidence alternée présente bien des avantages, notamment celui de ne pas éloigner durablement un enfant de l’un de ses parents. A la condition que l’enfant soit bien accueilli et bien intégré dans une nouvelle fratrie, ce qui n’est pas toujours le cas.
En d’autres termes, l’enfant doit se faire une place par lui-même, en ne comptant que sur ses propres forces, ce qui peut, parfois, le dépasser largement.
Le problème posé par la résidence alternée est un fait de conscience, et aucune loi ne pourra le mesurer et encore moins le résoudre. Elle peut, tout au plus, tenter d’y suppléer en accordant à l’enfant en souffrance la possibilité de diviser par deux son mal de vivre.
Laissons les juges juger en âme et conscience
Le législateur a été bien inspiré de faciliter, en quelque sorte, le divorce. Mais force est de constater que cette « dépénalisation sociale » du divorce a conduit maints parents à dissoudre le lien matrimonial avec une aisance déconcertante, prouvant que le sort de leurs enfants n’était pas leur préoccupation première.
Les juges aux affaires familiales n’ont pas de besoin de lois supplémentaires. Les lois existantes leur donnent toute une panoplie de solutions et de modulations des modes de garde des enfants. C’est à eux d’adapter leur jugement au cas spécifique de chaque enfant.
Ils doivent faire preuve d’une grande souplesse et surtout d’une grande empathie pour sentir ou deviner le traitement qui sera le plus profitable à l’enfant en l’aidant à surmonter ce terrible handicap qu’est la destruction de la cellule parentale où il est né.
A quand la résidence des enfants chez un tiers ?
Les juges ne sont pas au bout de leurs peines. La société évolue très vite, et dans une direction que l’on ne pouvait pas soupçonner il y a encore quelques années.
En effet, certains juges et avocats assistent de plus en plus souvent, avec effroi, à des scènes où les parents se disputent non pas « comme autrefois » la garde des enfants ou la résidence alternée, mais au contraire, rejettent la charge et la responsabilité du ou des enfants sur l’autre conjoint qui, à son tour, s’en défend. Aucun des deux parents ne veut la garde.
Alors, à quand la résidence des enfants chez un tiers ? Cela se produit déjà.
Quel que soit le cas de figure, aucune solution ne sera jamais totalement satisfaisante pour les enfants. C’est presque la quadrature du cercle. Les avocats saisis de tels dossiers doivent faire preuve de lucidité et les juges aux affaires familiales d’une vigilance accrue. Car de leur décision, plus ou moins éclairée, dépend l’avenir radieux , ou lugubre, de nos adultes de demain.
Danielle Moos, Avocat.