Les besoins de l’enfant
Indépendamment du fait qu’elle doit être capable d’assurer les besoins primaires – une sécurité affective et matérielle – , une bonne famille a pour mission de transmettre des règles fondamentales. Car pour se construire, l’enfant va se caler sur ses parents, sur leurs lois, sur leurs interdits, sur les principes fixés au sein de la fratrie, mais aussi sur la façon dont la cellule « supporte d’être emboîtée ou pas dans un groupe plus vaste, autrement dit dans la société », précise l’anthropologue et psychanalyste Olivier Douville.
La loi universelle et non la loi parentale
Via l’éducation parentale, les enfants doivent intégrer des interdits universels, comme l’inceste et le meurtre. Une famille qui décrète : « Il n’y a que ma loi qui compte », comme celle incarnée par Josef Fritzl, cannibalise ses membres, les condamne à vivre en autarcie, sans leur offrir la possibilité de s’éloigner. « Il est très important que les familles entrent dans un jeu de relation avec le monde, qu’elles ne soient pas repliées sur elles-mêmes, assure le psychiatre et psychanalyste Alain Vanier. Les enfants ne doivent pas être propriété des parents. » Pourquoi ? Parce que les petits se retrouvent pris dans un catastrophique vertige de fusion. Quand il concerne uniquement le couple parental, ce vertige exclut les enfants et les empêche d’accéder à l’amour de la différence ; quand il concerne les rapports entre parents et enfants, il empêche les seconds de construire leur propre personnalité, leur self , remarquait le pédiatre et psychanalyste britannique Donald W. Winnicott. « L’enfant ne doit pas être tout pour les parents, chacun des parents ne doit pas être tout pour lautre », rappelle Francesca Biagi-Chai. Combien d’enfants, d’ados étouffent, enfermés dans des huis clos familiaux ?
Les relations humaines
Peu importe la configuration, observe la philosophe et psychothérapeute Nicole Prieur : « Père-père, mère-mère, père-mère, beau-père-mère, belle-mère-père, ce n’est pas la question. Ce qui compte, ce sont les relations entre les êtres, comment les rapports se nouent ou pas, se tissent, se relâchent, se tendent. » Et comment, en arrière-plan, les liens ne deviennent pas pathologiques.
Que dire de ces familles, en apparence normales, qui pourtant « dézinguent » leurs membres parce que le désir et l’amour y sont distordus par des obsessions, des croyances parentales délirantes ?
Florilège de cas racontés par les psychanalystes : un père paranoïaque, persuadé que son voisin lui en veut, emmène son fils de 6 ans crever les pneus de la voiture de l’« ennemi ». Une mère frappe sa fille chaque fois qu’elle tombe malade parce qu’elle est persuadée qu’elle le fait « exprès »… Comment ces enfants vont-ils pouvoir se structurer ?
« Une famille, ce sont les premières personnes qui nous servent de transmetteurs. Les premières à qui nous allons supposer un savoir sur le monde, précise Francesca Biagi-Chai. Et leur discours passe à travers le soin qu’ils prennent de nous. Les enfants peuvent au départ penser que ce qui se passe dans leur famille est normal, puis, un jour, ils se confrontent au monde extérieur, et ils s’aperçoivent que ça ne l’est pas.» Tout laisse des traces, mais certaines font plus mal que d’autres.
À l’opposé, quand le désir circule harmonieusement dans le couple, avec les enfants, et surtout quand il ouvre vers les autres, il permet l’équilibre. Si l’enfant sent que le désir de sa mère, de son père n’est pas focalisé sur lui, s’il s’aperçoit que celui-ci s’exprime ailleurs, à travers une passion pour le travail, la littérature, la spiritualité
, cela lui donne un appui pour se construire. Alain Vanier est convaincu que « le plus sombre, pour les enfants, ce sont les familles mornes, tristes, très peu désirantes ».