De la banale déception à la rupture totale, les blessures que peuvent infliger les enfants à leurs parents ne manquent pas. Reconnaître ses souffrances, accepter ses failles, faire le deuil de l’enfant parfait… Le chemin jusqu’au pardon est long, mais nécessaire, pour nouer, avec son enfant devenu adulte, une relation apaisée. Les explications de Maryse Vaillant, psychologue et auteure de Pardonner à ses enfants (Albin Michel, 2012).
Vous écrivez Pardonner à ses enfants dix ans après Pardonner à ses parents. Est-ce une suite logique ?
Maryse Vaillant : C’est en réalité une suite très paradoxale, dont je pensais au départ qu’elle serait bien plus logique qu’elle ne l’est vraiment. Le temps du pardon est le même, puisqu’il s’agit d’un temps psychique que l’on ne peut quantifier. Mais le cadre, lui, n’a rien d’identique, ni de symétrique. Pardonner à ses parents, répondait à la question « Comment devenir l’enfant adulte de ses parents ? ». Pardonner à ses enfants répond à la question « Comment devenir le parent d’un adulte ? ».
Ce pardon parental, qu’a-t-il de si particulier ?
Maryse Vaillant : Les relations familiales sont entravées par les obligations qui sont celles de la parentalité. En tant que parent, on est responsable de son enfant. Il y a donc forcément des petits pardons quotidiens qui viennent émailler l’éducation. Et nous ne pouvons pas tenir le compte de toutes les incartades, de toutes les difficultés que nous pardonnons au jour le jour, sans y penser. Mais le pardon dont je parle dans le livre est un pardon psychique, c’est le pardon que l’on accorde, ou non, à son enfant devenu adulte. On ne pardonne pas à un fils ou à une fille de dix ans comme on pardonne à un homme ou à une femme de trente ans. Et pas pour les mêmes raisons.
L’expression « pardonner à ses enfants » peut choquer. Comment l’expliquez-vous ?
Maryse Vaillant : C’est à cause du fantasme de la grande oblativité parentale : l’amour toujours, l’amour sans défaut. Dans notre idéal de l’amour parental, la question du pardon aux enfants ne se pose même pas. Nous les aimons, et puis c’est tout. C’est le tabou de l’amour sans condition. Alors qu’en réalité, il y a toutes ces pilules qui ne passent pas, toutes ces amertumes qui persistent, tous ces reproches qui ne sont pas dits… Du simple malentendu à la vraie rupture, il faut parvenir à pardonner pour se réconcilier.
Pour pouvoir pardonner, vous expliquez qu’il faut aussi pouvoir reconnaître que l’on a été blessé. C’est une démarche difficile pour un parent ?
Maryse Vaillant : Nous voudrions que nos enfants soient non seulement le fruit de nos entrailles, mais aussi de notre éducation. Nos enfants n’étant pas parfaits et idéaux, nous avons, dès leur naissance, mille petites piqûres d’amertume que nous nous interdisons de penser, que nous refoulons. Il est très difficile d’accepter que nos enfants ne correspondent pas à notre imaginaire de perfection. On voudrait qu’ils soient beaux, intelligents, heureux… Et qu’ils ne nous fassent jamais de mal. À la fois pour réparer ce que, peut-être, nous n’avons pas eu nous-même, mais aussi parce que c’est ce qui nous fait sentir bons parents.