Au moment où ses parents divorcent, un enfant a plus que jamais besoin de temps et d’attention. Et la formation rapide d’un nouveau couple est souvent un cap difficile à passer pour lui.
La séparation, le divorce. Une épreuve, un échec qu’on voudrait pouvoir toujours éviter. Et pourtant cette réalité fait malheureusement partie de la vie de beaucoup d’enfants. Ont-ils pu s’y faire, ces enfants qui, alors, avaient 3 ou 4 ans, 15 ans ou plus ? Ont-ils compris que leurs parents, à leurs yeux inséparables, ne s’aimaient plus ? Sont-ils convaincus de n’être pas coupables ? Surtout, ont-ils compris que, même divorcés, ceux qui leur avaient donné le jour restaient « pour toujours » leur père, leur mère ? Quoi qu’il en soit, avec l’arrivée chez eux du nouveau partenaire de leur parent, beaucoup de ces fils et filles « divisés » vont connaître un second bouleversement.
Car « la remise en couple d’un parent divorcé secoue toujours profondément l’enfant », constate la philosophe France Bonneton, qui a enquêté auprès de nombreux jeunes concernés par cette réalité. En effet, tout en signant la fin de l’espoir de réconciliation du couple parental, la perspective d’une nouvelle aventure conjugale pour un des parents inquiète l’enfant : « C’est qui cet homme, c’est qui cette femme ? Va-t-il, va-t-elle me plaire ? Et moi, quelle place vais-je avoir ? Devrai-je lui obéir ? Comment va-t-il me juger ? Et s’il a des enfants à lui ? Et si ce nouveau couple échouait aussi ? Comment mon autre parent va-t-il réagir ? »
Les uns, comme Carole qui avait 13 ans quand sa mère lui parla de son projet, ont si peur qu’ils préféreraient prendre la fuite, avant même la cérémonie des présentations : « J’avais deviné depuis longtemps que ma mère était amoureuse, explique-t-elle. Mais, je m’étais juré que si cet homme couchait dans le même lit que papa, je ferais une fugue pour ne pas avoir à le connaître. Ce que j’ai fait trois jours après son arrivée. » Les très jeunes enfants, parfois derrière le masque de l’insouciance, n’échappent pas à cette angoisse, semble-t-il. Ce que traduit la réflexion de ce jeune garçon de 5 ans à son enseignante de maternelle : « Papa est parti avec une autre dame. Et maintenant, maman aime un autre monsieur, et moi je vais rester tout seul… alors je veux rester à l’école avec toi. »
Les premières rencontres avec un beau-parent sont à vivre sur la pointe des pieds. Avec prudence et délicatesse.
Gérard Poussin, professeur de psychologie à l’université Pierre-Mendès-France à Grenoble, explique cette inquiétude par le sentiment d’appartenance que tout enfant éprouve vis-à-vis de ses parents. « Même séparés, ce sont « ses » parents. Si l’un part avec un autre partenaire, il se sent dépossédé, dit-il. Il éprouve un sentiment de perte et d’abandon. »
Autant dire que les premières rencontres avec un beau-parent sont à vivre sur la pointe des pieds ! Avec prudence et délicatesse. « Ce n’est pas toujours le cas, regrette France Bonneton. Au cours de mon enquête, j’ai souvent été effarée de voir à quel point les adultes, engagés dans leur nouvelle passion amoureuse, oublient leur responsabilité de parents. Trop souvent, ils sous-estiment le besoin d’écoute et de compréhension de leurs enfants. »
Même avis de Christine Brunet, psychologue clinicienne et psychothérapeute, qui insiste pour que le nouveau partenaire « ne débarque pas » du jour au lendemain dans la vie de l’enfant. « Seul moyen pour que les parents gardent aux yeux de l’enfant toute leur dignité,souligne-t-elle. Sans ce « sas », les enfants ont l’impression que leur parent pourrait désormais passer d’un amant à un autre et qu’ils les négligent. » Dans le même sens, Florence Cadier, qui, elle aussi, a rencontré de nombreux jeunes pour écrire un livre sur le sujet, témoigne du nombre important d’entre eux qui sont insupportés par « l’exhibitionnisme amoureux» de certains parents aux débuts de leur deuxième relation conjugale.
Pourtant, tôt ou tard, l’enfant doit accepter la situation. Les réactions sont alors multiples. À chaque famille, son histoire, son passé et ses possibles. Les enfants éprouvent des sentiments contradictoires : de l’hostilité franche à la méfiance en passant par la colère, la suspicion ou l’indifférence ou encore le sentiment de trahison ; mais aussi parfois l’espoir de réconfort et de consolation, l’envie de reconstruire une paix oubliée. Certes, l’âge de l’enfant joue. Apprendre quand on est un petit garçon de cinq ans qu’un « monsieur » qui n’est pas son papa va désormais vivre avec sa maman, qui, elle, reste sa maman pour toujours, ne pose pas les mêmes questions que de l’apprendre à 15 ans quand son propre regard est déjà attiré par les filles de son âge.
Parfois l’aide d’un tiers s’avère nécessaire pour que les uns et les autres s’apprivoisent et apprennent à vivre ensemble.
Faut-il en conclure qu’un cas est plus problématique que l’autre ? Les plaintes qui s’entendent sur les lignes du Fil Santé Jeunes, dans les centres d’écoute ou encore dans les cabinets « psy », montrent une réalité beaucoup plus complexe. En effet, de nombreux facteurs s’entrecroisent et se conjuguent, qui influencent ces premiers regards portés sur le nouvel arrivé. Ainsi, le beau-parent était-il déjà dans la vie de l’un des parents ? Des mensonges ont-ils couvert les amours cachés du parent divorcé ? L’entente avec le parent qui a été quitté est-elle bonne ou au contraire conflictuelle ? Les parents ont-ils su se séparer sans se déchirer, établir des relations responsables au sujet de l’enfant pour sa garde et l’exercice de l’autorité ? L’enfant est-il resté longtemps seul avec son parent ? Le beau-parent est-il lui aussi divorcé ? A-t-il des enfants ? Sans compter les situations extrêmes qui transgressent la symbolique générationnelle, comme celle dont témoigne Christophe, 28 ans : « J’avais 16 ans quand mon père s’est remarié avec une fille qui avait l’âge de ma soeur aînée. De ce jour, il a perdu toute mon estime et je n’ai jamais pu accepter ma belle-mère. »
Mais heureusement, dans d’autres cas plus favorables, le temps jouant, associé à la bonne volonté des uns et des autres, les relations peuvent évoluer dans le bon sens. Ce qui au départ était apparu insurmontable ne l’est plus. « Parfois l’aide d’un tiers, comme un thérapeute familial, peut être nécessaire, souligne Gérard Poussin. Pour que les uns et les autres s’apprivoisent, acceptent les changements d’habitudes et fassent les compromis inévitables de toute vie commune. »
Arrive le moment où chacun est assuré de sa place dans la nouvelle constellation familiale, où les droits et les devoirs de tous ont été reconnus, les règles de vie établies. Une nouvelle forme de vie familiale peut alors exister et de nouveaux liens se tisser. Avec, pour l’enfant, la certitude d’avoir gardé l’amour de ses parents et gagné la bienveillance d’un autre adulte. Pour le reste, c’est la capacité de chacun à bien vivre ensemble qui fera la différence. Comme dans toute famille.
Par Agnès Auschitzka