« La garde alternée, un débat mal posé »

Le principe ne saurait souffrir de remise en cause s’il est considéré que la résidence alternée (le terme de résidence s’étant substitué à celui de «garde » précisément depuis la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002) doit préserver des liens privilégiés et diversifiés de l’enfant avec chacun de ses parents séparés, c’est-à-dire éviter que l’un des deux ne soit qu’un parent du dimanche et des vacances, trop facilement mis à l’écart d’une prise en charge du quotidien. La résidence alternée ne peut qu’encourager les parents à maintenir un dialogue sur leurs choix éducatifs, et un partage de responsabilités, dans l’intérêt de leur enfant.

Ce qui est davantage sujet à caution, et beaucoup moins discuté, ce sont les modalités de la résidence alternée. Beaucoup de décisions sont inopportunes au regard de l’équilibre de l’enfant. Le critère de l’intérêt de l’enfant reste méconnu des parents qui entendent avant tout obtenir un temps égal à celui de l’autre parent. La Cour de cassation a tranché que la résidence alternée pouvait aboutir à autre chose qu’un enfant coupé en deux et que la qualité de la relation devait primer sur un temps strictement partagé à égalité.

Mais il faut savoir que les magistrats sont tenus de prendre leur décision en fonction des demandes des parents sauf à refuser, de manière motivée, une demande qui leur paraîtrait préjudiciable à l’intérêt de l’enfant. Enfin, la représentation de la mère comme figure d’attachement incontournable reste encore très prégnante, quand bien même les pères présenteraient des qualités identiques de garantie d’une bonne construction de la personnalité de l’enfant ; irait-on reprocher à un veuf de mettre en péril l’avenir de son enfant en l’élevant seul ?

Un enfant a besoin pour grandir de chacun de ses deux parents et de sentir que chacun de ses parents reconnaît les qualités de l’autre. Le décompte du temps devient dès lors secondaire, l’essentiel restant la disponibilité que chacun des parents, compte tenu de sa vie professionnelle et personnelle, peut accorder à l’enfant pendant un temps donné.

 

De son côté, l’enfant a besoin de stabilité et de pouvoir se poser ; l’organisation de la résidence alternée doit d’abord tenir compte de ce besoin essentiel. Il ne faut pas s’étonner qu’un enfant finisse par exploser littéralement en morceaux lorsqu’il se trouve contraint, à longueur d’année, de ne jamais passer plus de deux nuits dans le même lit, au motif que chacun des parents veut « profiter » au maximum et ne supporte pas plus de deux jours de séparation d’avec l’enfant, confondant l’intérêt de celui-ci avec le sien propre! Un partage par quinzaine peut être envisagé si cela apporte plus de confort à l’enfant; des parents géographiquement éloignés peuvent décider d’une rotation par année, voire tous les deux ans si l’un d’eux est domicilié à l’étranger. Toute solution incluant une inégalité de temps doit être recherchée si elle apporte un meilleur équilibre à l’enfant. Enfin, qu’elle soit alternée ou non, la résidence doit être évolutive dans ses modalités lorsque l’enfant grandit pour ne pas être une contrainte à laquelle il se soumet au détriment de ses propres aspirations et pour se préserver de la persistance d’un conflit parental.

Il ne s’agit donc pas de savoir si la résidence alternée est bonne ou non pour l’enfant, mais surtout d’abandonner l’idée que celui-ci est la propriété de ses parents, et comme tel, réduit à la position d’un objet à découper suivant le pointillé, comme un chiffon de papier. Si les parents manquent d’imagination pour inventer le cadre de vie de leur enfant, il n’appartient pas aux juges de le faire à leur place.

Source: Article tiré du blog du journal Le Monde et rédigé par Colette Clément-Barthez,  Magistrate retraitée, ancienne conseillère juridique de la Défenseure des Enfants